Contraquerencia, le nouveau livre de Laurent Mut, est dès à présent disponible en ligne sur la boutique du site et en vente à la librairie Teissier de Nîmes. Il sera également présenté devant certaines arènes en cours de temporada. Le18 mai dernier, lors de la féria de Vic-Fezensac, a eu lieu sa parution, dont quelques péripéties sont racontées dans le texte qui suit.
Partir à l’opposé. Pour un Nîmois : quitter Nîmes le vendredi soir, juste après la première corrida de Pentecôte, et rejoindre Vic dans la nuit. Lancer la vente d’un nouveau livre sans l’avoir annoncé. Pourquoi ? Parce que le monde matérialise ce qui a d’abord vu le jour sous forme dématérialisée. Parce que d’ordinaire, l’inespace du web crée, par effet d’annonce, l’évènement qui doit ensuite remuer sur l’espace véritable. Parce que l’objectif de vente prend trop souvent le pas sur la cohérence artistique, et parce que cette cohérence, pour exhiber la théorie du contrepied qui fait honneur au titre, imposait l’inversion des principes communément admis.
Contraquerencia, mot désignant à l'origine le terrain qui, dans l’arène, est à l’opposé du lieu où le taureau est sensé se sentir le plus à l’aise, tente de faire jaillir la grandeur de la corrida dans sa plus belle sauvagerie.
« En refoulant son refuge, il gagnait le terrain du drame et celui de la fête. Cinq fois. Cinq batailles. Cinq crescendos sous la musique pendant que le public encensait son héroïsme d’instinct qu’il n’osait pas rêver d’incarner. »
Après A Fleur d’épée, une épopée poétique et taurine par-delà les frontières du rêve, l’auteur livre ici un chapelet de neuf textes. Son regard singulier y scrute la corrida, son milieu, ses artistes, ses histoires, un coup de corne, un enfant découvrant l’arène, un spectateur déboussolé, des areneros, des taureaux, des toreros et autres substances littéraires qui s’entrelacent dans la fresque des temporadas.
En cadençant ses lumières brèves, Contraquerencia éclaire les pans tauromachiques du monde puis, pour s’éteindre sur une musique intime, sonde l’écho du combat dans l’acte même d’écrire. Un livre à ne surtout pas manquer.
Vic-Fezensac. Samedi 18 mai 2024. Matinée. Premières dédicaces. Le Club Taurin Vicois, merci à lui, rendait la rencontre avec le lecteur possible. La table de camping recouverte d’un drap et encastrée sous un gradin de béton humide donnait, il faut en convenir, un aspect de bric et de broc aux grands principes de l’art. Mais chaque aventure a des allures donquichottesques, il faut l’assumer. La pluie et le froid barbouillent de bancal chaque instant que le soleil pourrait éclairer comme un triomphe.
Sous l'œil de Manolete et de Nimeño II (peintures de Bruno Imart), dédicaces à Vic-Fezensac © Marie, laurentmut.com
Cette année, le printemps dégouline. Sur la route des taureaux, le ciel coule de toutes ses larmes grasses, ruisselle contre les ponchos, plaque la gomina des hommes et les tresses des femmes pour parfois fermer leurs yeux puis les rouvrir en trempant le drame comme on imbibe un chiffon. Pour Pâques, Arles était un vent froid, des drapeaux dans les bourrasques, des os mouillés qui tremblaient au-dessus des cornes. A Vic, pour Pentecôte, le déluge n’a pas dilué la tragédie.
Si Enrique Ponce était revenu dans le soleil nîmois du vendredi, lors d’une corrida d’élégance discrète, entre les flonflons de la féria et des cris d’amphithéâtres, le lendemain, à la même heure, Gómez del Pilar, torero ténébreux et plein d’héroïsme, roulait dans la boue du Gers devant les lames infernales d’un taureau de Cuadri.
Gómez del Pilar pris par son taureau © Marie, laurentmut.com
La suite a persisté dans ce registre. Pendant trois jours, les corridas de Vic ont brillé par leur intensité brute, cette vérité de l’arène plus grande que l’écrivain et à l’ombre de laquelle ce dernier ne peut qu’essayer de saisir des morceaux d’instants.
Retenons Sánchez Vara plantant une paire de banderilles partie d'une chaise, dans ces mêmes flaques où Juan de Castilla toréerait ensuite un taureau brave de Pagès-Mailhan, les genoux vissés sur le sable mou du matin, avant de prendre un avion pour Madrid et, le soir, d’y tuer deux Miura.
Revoyons les taureaux de Dolores Aguirre qui, parce qu’ils semblaient se dédoubler à force de posséder la piste, étaient bâtis comme des romans de science fiction. Songeons enfin à la fureur des contraires, le lundi soir, quand le soleil, même s’il pointait, avait du mal à masquer ses arcs-en-ciel, hésitant à briller dans la vasque brûlée par nos peurs de la mort.
Les taureaux de Los Maños remuaient comme des flammes. Morenito de Aranda, au-delà du courage, étincelait par sa maestria.
Morenito de Aranda triomphe à Vic © Marie, laurentmut.com
Román Collado, lui, venait de trébucher, victime d’un de ces instants de tauromachie qui flirtent avec le pire. Le temps, passé depuis par des images de rémission et d’hôpitaux, nous le signale tiré d’affaire, sain et sauf malgré l’horreur qu’inspirait sur l’instant son coup de corne.
On en oublierait presque le choc de l’attente, le doute dans un ballet de sirènes, l’interruption de la course, les fracas de la crainte, ce contraste entre vie et mort, grand accord avec le réel qui habite chaque après-midi de taureaux et que la féria de Vic venait de porter à son paroxysme.
Il était peut-être temps que le weekend se termine. Nous étions assommés. Le drame s’enveloppait d’une espèce de nostalgie paradoxale. Dans le même temps, l’aventure d’un nouveau livre, imparfaite et unique comme toute féria, ancrait son lancement. Douce façon de rappeler que, devant la vérité de la corrida, quelques centaines de pages sont peu de choses, juste un fil conducteur d’afición, une tentative de retranscrire au mieux le tourbillon d’humeurs contraires qui anime ceux qui savent, aiment et courent les arènes pour vivre la rencontre du taureau et du torero, ces deux maillons centraux sans lesquels aucun livre taurin ne serait possible. C’est avant tout grâce à eux que Contraquerencia existe, grâce à eux que sa parution fut réussie, et grâce à eux qu’il continuera de trouver ses lecteurs.
Laurent Mut
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